©️photo de Priss Auvray
Le deuil laisse une empreinte profonde. Quand la mort d’un proche, trop proche frappe avec violence, il bouleverse tout. Il brise les repères, arrache des morceaux de soi, laissant derrière lui un vide insondable. La douleur est brutale, incompréhensible. On avance avec un poids invisible, un chaos intérieur que personne ne peut vraiment mesurer. Continuer de grandir, à 17ans sans figure paternelle à beaucoup influencé mes choix, et souvent pour le pire.
C'est le premier traumatisme dont j'ai pleinement conscience, celui dont je sais que je peux affronté, il est solvable. Parce que les autres, pour l’instant, sont muets.
Puis, quand une deuxième perte survient, cette fois insidieuse, lente, imposée par la maladie, c’est une autre forme de choc. Comme si la vie testait encore la résistance, repoussait les limites de ce que l’âme peut encaisser. C’est là que les traumatismes s’ancrent, comme un mode de vie. Marcher sur un sol qui se dérobe sous les pieds, sous nos yeux. La perte ne se contentent pas d'un chagrin inconsolable : elle déstabilise tout un parcours. Elle ébranle toute la confiance. Elle change la perception du monde, de ses proches et vieillit une âme.
Être orpheline à 24 ans
Lorsque la vie m’a privée de ma maman, ce sont mes racines qui se sont nécrosées. Être l’enfant de personne. Vivre une vie d’errance, sans comprendre encore tout à fait les règles. Je me rappelle de cette vie sans moi. Ce sentiment étrange de marcher à côté, sans vraiment être là. Se sentiment de rejet et d’abandon constant.
Je me suis longtemps sentie perdue dans ces épreuves et extrêmement en colère. Une colère qui revient encore parfois me saluer. Un sentiment d’errance que je cherche encore à canaliser.
Les fleurs comme refuge
Dans ce tumulte, une lueur a émergée du plus profond de mes abîmes. Refaire ma vie au Québec, mon chat sous le bras, et l'espoir de laisser la mort de l'autre côté de l'Atlantique
Les fleurs. Elles m’ont accompagnée, cachée dans une partie de mon coeur, sans que je comprenne immédiatement leurs présences et leurs pouvoirs.
Lorsque j'ai débuté l'exploration florale il y a 4 ans, c'était un moyen d’exprimer ce qui était trop lourd pour être dit. C'était dire ce que je tais encore. Les douleurs les plus vives sont silencieuses, et les mots, eux, n’avaient pas de puissance.
À fleur de peau
Le travail des fleurs est devenu un médium, un exutoire. Leurs couleurs, leurs fragilités, leurs cycles éphémères - reconstruire ce que la vie à déconstruit en moi. Durant des années, j’ai piloté à l’aveugle dans cette vie qui ne m'appartenait pas.
J’ai fais face aux deuils avec un masque exemplaire, des mots rassurants pour rassurer les autres. Les autres qui m’ont toujours permise de m’accrocher à d’autres vies. Tenir à la surface, à la réalité. J'ai toujours réussis à être fonctionnelle, aimante et disponible. Mais je souffre terriblement seule pour ne pas déranger, pour ne pas heurter . J'ai une instabilité émotionnelle extrême qui est alimentée par la peur de l'abandon, du rejet. Une ultra sensibilité parfois paralysante. J'ai une tendance naturelle à m'auto saboter et à ne plus écouter mon instinct. La régulation de mes émotions est difficile, et l' image que j'ai de moi est très cruelle.
Les fleurs me canalisent. J’ai tenu longtemps à la surface. Presque 7ans. La création me fait oublier ce chaos intérieur, en m'ancrant dans le présent. Travailler mes petites fleurs, m'a offert un espace où je pouvais exister sans me sentir de trop.
Je suis tombée enceinte, et j'ai souri. J'ai souri pour de vraie. Je savais qu'embrasser la pluie m'offrirai des journées d'étés à n'en plus finir. Et j’ai perdu cet enfant. Dans les toilettes des urgences. J'ai perdu l'espoir en même temps. L'espoir d'une vie plus légère.
J’ai commencé à sentir la brisure dans la chaloupe. J'ai commencé à sentir que j'étais peut-être saturée. Saturée. Brisée.
Anna
Ma deuxième grossesse s'est vécu au jour le jour. Sans trop de projection, par protection.
La naissance d’Anna, chaotique, et froide. Bouleversante en même temps. Elle est née par césarienne imposée ; on m'a arrachée ma fille. Littéralement. Et ce, ensuite, pendant 9H de temps. Je ne critiquerai jamais les décisions médicales qui fonds qu'aujourd'hui elle est en parfaite santé. Mais se faire accoucher, dans la froideur et la solitude, est un autre épisode traumatique.
Quand ils m'ont rendus ma fille, ma toute petite Anna, je l’ai accueillis comme on accueil le printemps avec cette volonté de renaissance, de renouveau. Je me suis fais la promesse de ne plus jamais laisser personne nous séparer.
J’ai mis toutes mes forces sur ma fille. J'ai essayé d'aimer pour tous ceux qui n'étaient plus là pour veiller sur elle. Veillée sans sommeil à jongler entre la fragilité de son être, être la meilleure version pour elle, et la peur profonde qu'on me la reprenne.
Devenir mère sans ma mère a été une épreuve à laquelle je n'étais pas préparée. Il n'y a pas eu de message de bonheur envoyé à mes parents, pas de mots pour célèbrer la vie avec eux. Seulement un vide immense, et la honte de ressentir ce vertige, alors que ma fille était blottit contre moi.
Et puis, j'ai sombrée. J'ai sombrée dans mon propre corps. Je me suis perdue de l'intérieur.
Dissociation
J'ai vécu le plus beau et le pire en même temps, sans parvenir à mettre des mots. Je n'avais pas de modèle, pas de filet de sécurité. J'aurai voulu partager ma joie, mais le silence m'a répondu. J'ai cherché du réconfort partout, mais je savais qu'au fond, personne ne me rendrais ce dont j'avais besoin.
La naissance d'un enfant est un moment de bascule. On devient quelqu'un d'autre, mais cette transformation est violente, lorsqu'elle s'accompagne d'un passé chargé de pertes et de blessures non résolues. Devenir maman sans transmission, a été une épreuve de solitude, une transition brutale. J'avais tant besoin d'un regard bienveillants qui aurait pu valider ma propre existence dans ce nouveau rôle.
Je crois que la dissociation est une réponse naturelle face à un choc émotionnel. Au fond, un des besoins humains les plus fondamentaux, c'est d'être vu, reconnu, accueilli, non ? Et quand ce besoin est ignoré, c'est comme si on devenait invisible, même envers soi-même. Même en connaissance des circonstances non volontaires de mes parents. Je sais que ma maman aurait été la plus heureuse du monde de rencontrer Anna, et c'est ça qui fait mal. Et qui déclenche ma colère, ma tristesse.
Je crois, qu'on attends des jeunes mamans qu'elles soient uniquement dans le bonheur de la maternité, et que l'inverse est socialement inacceptable. Ma réalité est que la naissance de ma fille a remplit mon coeur d'un amour sans limite, sincère, et pure. Mais sa naissance à également réveillée des deuils que je pensais enfouies et apaisés. La vie à réveillée la mort.
Aujourd'hui, ce n'est plus un échec, une faiblesse où une honte. J'ai eu une réaction à un bouleversement, et je ne veux plus le passer sous silence. Je comprends maintenant pourquoi cette période fut si magnifique et si cruelle.
À moitié debout, j’ai recommencé à créer.
Petit à petit, l'art floral est devenu une façon de co-exister entre être la maman d'Anna, et Marie. C'est devenue une sorte de thérapie reconstructrice. Je me suis laissé être. Être moi. Une manière de parler sans faire de bruit, d'exprimer sans déranger. Ce n'est pas juste un projet, c'est une promesse envers moi-même de guérison. C'est une manière d'affirmation. C’est une bulle. Je peux rester dans ce monde floral durant des heures, des semaines alternant création et vie de maman. Je m’accroche à mes rêves. Rêver. Quel sentiment extraordinaire lorsqu'il revient.
Créer pour guérir
Trouver sa passion, c’est comme accepter d'être vivante en dedans . Quand on la laisse prendre sa place, elle devient un pont entre la douleur et l’apaisement, entre le passé et l’avenir.
En faire mon métier, c’est un petit acte de courage et d'affirmation : je refuse que les traumatismes définissent tout ce que je suis. Je refuse que la mort guide ma propre vie.
Je décide de créer un chemin où il n’y en avait plus, avec certe, mes valises sur le dos mais la volonté de me laisser y croire à nouveau. Aujourd'hui encore, l'équilibre reste fragile. Mais j'ai appris à naviguer entre ces vagues, à reconnaître mes propres mécanismes, à ne plus me laisser définir par eux. La création est devenue un ancrage. C'est ma manière de transformer ce qui aurait pus me consumer en quelque chose de beau et vivant.
J'ai appris à accepter que notre modèle familiale ne sera pas comme je l'aurai voulu. Aujourd'hui je continue mon chemin de guérison pour ma fille, mais surtout pour moi.
Chaque fleur surcyclée, chaque projet que je touche est empreint de cette histoire. Création Elmajistas n’est pas née d’un simple amour des fleurs. C'est une nécessité : celle de survivre autrement, de guérir en créant, d’offrir aux autres ce que la nature et l’art m’ont offert. De prouver que nous pouvons faire du beau avec du laid.
Lorsqu'on grandit et on se construit sans l'amour, même si il est dû à une séparation chimique, on commence à croire qu'on n'en était pas digne. Je tente chaque jour de travailler sur cette emprise invisible et injuste que les circonstances de la vie ont gravées sur moi.
Car au fond, c’est ça, la vraie magie de la création : elle ne change pas le passé, mais elle permet de transformer la souffrance en quelque chose de lumineux.
Et si mon parcours peut inspirer ne serait-ce qu’une personne à trouver son propre médium de guérison, alors tout ce chemin aura eu un sens.